«Belles-familles: mode d’emploi» Résumé de la conférence donnée par Mme Adriana Bouchat Psychologue spécialiste en psychothérapie FSP Cheffe du service de consultation conjugale et de sexologie de la Fondation Profa (Lausanne)
Notion de belle-famille: La belle-famille est acquise par alliance. Nous ne parlerons pas de la famille recomposée mais de la famille d’origine du conjoint ou du compagnon. Nous avons déjà une famille, dans laquelle nous sommes nés. En nous mettant en couple nous en acquérons une deuxième. Cela ne me semble pas si évident. Tout au début de l’histoire, il y a la constitution du couple. Si la relation dure, vient le jour fatidique de la rencontre avec la belle-famille et cela se passera plus ou moins bien. «Tu quitteras ton père et ta mère», un impératif biblique toujours actuel: pour naître à soi, acquérir une identité propre, il faut se différencier de sa famille d’origine, s’en séparer sur le plan psychologique. Le processus de différenciation commence dès l’enfance. Nous sommes des organismes vivants en continuel mouvement, qui se redéfinissent constamment, en fonction de nos relations aux autres, de l’âge, de nos identités multiples et de nos différents rôles. Mais au fond de nous-même nous avons un noyau: le self, le soi, le sentiment d’identité, qui donne une direction à notre vie («je sais qui je suis»). C’est le fruit d’une conquête parfois douloureuse car, contrairement aux autres mammifères, le petit d’homme naît incomplet (néoténie du nouveau-né). Son besoin de dépendance est vital et pour certains humains apprendre à se séparer semble pénible, voire impossible (écoliers qui ont de la peine à aller à l’école, adolescents qui cassent tout).
«Lève-toi, mon amie, ma belle, et va vers toi-même, pars vers-toi même» (Cantique de Salomon). Toutes les disciplines des sciences humaines, comme la théologie, la psychologie ou l’anthropologie culturelle, relèvent cette nécessité de la séparation (qui n’est pas rupture car il importe de garder le lien).
Dans toutes les cultures du monde, il y a le tabou de l’inceste: on ne se marie pas dans sa propre famille. On quitte père et mère pour se marier ailleurs. Toutes les sociétés pratiquent l’exogamie (par opposition à l’endogamie). On se marie avec l’étranger, qui apporte de la différence à l’intérieur du corps social et familial.
Les explications sont nombreuses:
- économiques (Lévy-Strauss): cela favoriserait les échanges dans les cultures primitives, cela scellerait des alliances avec des tribus voisines ;
- biologiques: amener du sang frais, diversifier le patrimoine génétique ;
- psychologiques: pour progresser et se construire vraiment, l’individu doit quitter le giron maternel.
Les parents doivent laisser partir leurs enfants, accepter qu’ils soient différents d’eux, même si c’est difficile à admettre. Et chacun de nous doit quitter père et mère, se construire, en faisant la part des choses de l’héritage familial, en triant l’héritage familial, les valeurs reçues (accepter certaines choses, en refuser d’autres). Il faut parfois «divorcer de ses parents» («Repenser le couple», Jacques-Antoine Malarewicz, Lgf, 2002)
Le couple, l’amour n’est pas qu’une histoire à deux. Même si certaines expressions populaires («Seuls au monde», «Une chaumière et ton coeur») laissent transparaître le désir de créer dans quelque chose de nouveau, d’unique, de différent, en réalité on ne se marie pas seulement avec son conjoint mais avec toute une famille (idem pour les concubins qui s’engagent à long terme)
La rencontre avec les futurs beaux-parents est toujours chargée d’appréhension. De nombreux films mettent en scène les rapports difficiles entre un jeune couple et leurs familles d’origine (choc des cultures des belles-familles).
Dans l’imagerie populaire, les belles-mères sont des mal-aimées (la «mère juive» qui surprotège ses enfants en est une variante). Idée répandue d’un amour spécial mère-fils (Sigmund Freud). Après avoir enfanté de son fils dans la douleur (adage biblique), la mère se séparera de lui dans la douleur pour le confier à une autre femme. Ces clichés sont alimentés par des femmes: l’écrivain Christiane Collange se définit par exemple comme une belle-mère «absolue» (elle parle de la rivalité belle-mère/bru et donne des conseils pour faire le deuil de la relation parfaite mère-fils).
Des auteurs scientifiques évoquent la bonne distance bru/beaux-parents, qui passe par l’appellation (cela ne va pas de soi). Une sociologue (Clotilde Lemarchant, in «Belles-filles, avec les beaux-parents, trouver la bonne distance», PUF, 1999) a interrogé 90 femmes à ce sujet : certaines utilisent le prénom des beaux-parents, d’autres le terme favori des enfants («papy, mamie, pépé, mémé») ou alors un formel «Monsieur/Madame». Parfois la gêne est telle que la bru/gendre évite de s’adresser directement aux beaux-parents («je ne peux pas l’appeler maman/papa»). La famille d’alliance est une famille rajoutée (la «pièce rapportée»), mais l’arrivée des enfants et leur médiation permet de créer une certaine familiarité, en donnant une dimension affective au lien bru/gendre et beaux-parents. La difficulté à nommer les beaux-parents vient aussi du trouble sémantique du mot français belle-famille (famille d’origine du conjoint ou famille recomposée) qui n’existe pas dans d’autres langues. On retrouve cependant dans plusieurs langues le sens de courtoisie, de respect attaché au mot «belle» famille. Les mots utilisés révèlent la vision que nous avons du monde. La mise en couple inclut chaque conjoint dans les liens familiaux de l’autre et cela se passera plus ou moins bien, avec des échanges (objets ou remarques) qui peuvent créer des contraintes (cadeaux empoisonnés), amplifiées par les comptes qui peuvent n’avoir pas été réglés avec ses propres parents.
Typologie des belles-mères (on se focalise sur la femme): belle-mère copine (tutoiement spontané), belle-mère idéale (la mère dont on a rêvé), belle-mère traditionnelle (une certaine distance), belle-mère possessive/envahissante (se mêle de tout), belle-mère rejetante (sens du clan familial très développé, infantilisante), belle-mère distante…
Quelques principes sont nécessaires: - bon réglage de la distance, - ne pas mettre son conjoint en porte-à-faux, - faire preuve de tolérance et - négocier un modus vivendi avec la famille du conjoint, - penser au bien des enfants, qui s’adaptent très bien… Parfois, les deux partenaire du couple se sont mutuellement choisis pour se soutenir dans leur travail respectif de différenciation d’avec leurs familles respectives, pour s’en séparer, chacun délèguant à l’autre la tâche de régler le contentieux qu’il n’arrive pas à régler avec sa propre famille.
A quoi servent les beaux-parents? Nos beaux-parents sont les grands-parents de nos enfants et leur valeur à ce titre est importante dans un monde en pleine mutation: rôle capital dans la constitution d’un individu, différent de celui des parents. Les parents éduquent l’enfant, les grands-parents l’aiment et l’aident à se situer dans la suite des générations. Grâce à eux, l’enfant apprend que «papa et maman ont aussi été des enfants» et ont peut-être aussi fait des bêtises. Les grands-parents lui donnent des racines, renforcent son sentiment d’appartenance, l’inscrivent dans une filiation et lui transmettent la notion du temps qui passe. Ils lient l’enfant au passé en ouvrant la perspective de l’avenir (savoir d’où on vient permet de comprendre qui on est et de savoir mieux où on va). Les grands-parents initient l’enfant à l’histoire familiale et à l’histoire tout court (la Grande Histoire) et lui transmettent la notion de finitude (nous sommes mortels). |
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